L’a­gence > Ber­nard Bou­lan­geot

BERNARD BOULANGEOT

Interview

Comment en êtes-vous venu à l’architecture ?

Déjà, dans ma prime jeunesse, mes parents m’avaient inscrit aux cours de dessin de l’école du Louvre. Notre professeure nous faisait peindre des natures mortes “à la” c’est-à-dire à la façon de. À la Van Gogh, à la Dürer, à la Picasso, etc. Très bon exercice de style !
Mais aussi, elle nous expliquait comment bâtir une perspective, et je me souviens particulièrement de cet escalier, vu d’en haut, qui m’a fait tant souffrir : ma sensation et l’intérêt de l’aménagement se sont infusés insidieusement en moi.

“Notre pro­fes­seure nous fai­sait peindre des natures mortes “à la” c’est-à-dire, à la façon de. À la Van Gogh, à la Dürer…”

Quel a été votre parcours ?

Après avoir terminé mes études à l’école du Bâtiment et des Travaux Publics de Vincennes, je suis parti travailler comme architecte d’intérieur au sein de la société CONDAS (Contemporary Design Associed) à Beyrouth pendant 4 ans. Nous travaillions sur différents projets au Moyen-Orient, Golfe Arabe, Arabie Saoudite… J’avais personnellement en charge la réalisation du siège social et de quelques agences de la Federal Bank of Lebanon. À mon retour en France, je me suis installé à mon compte, puis me suis associé au sein d’une deuxième structure, Agence ETIC avec Alain MAUMENÉ, architecte. En équipe avec des confrères, consœurs et bureaux d’études, nous avons mené à bien différents projets et études à travers la France. Parallèlement, je donnais des cours aux professionnels, essentiellement sur le management environnemental et l’économie circulaire. Je m’attache en ce moment à des projets variés entre commandes publiques (crèches, groupes scolaires, mairies, etc.) et privés de toutes sortes (industriels, parcs résidentiels, maisons médicales, habitats, etc.).

Quelles sont vos influences ?

C’est au cours d’une rencontre avec Claude PARENT – rappelons le, élève de Le Corbusier et professeur de Jean Nouvel – lors d’une exposition à Paris qu’il m’a expliqué “les fonctions obliques”. Sa démarche m’a fait comprendre qu’il fallait une pensée fondatrice personnelle, et surtout y donner du sens. Il faut reconnaître que c’est l’approche sensible de Louis L. KHAN (1901-1974) qui m’a le plus influencé ; j’ai mis du temps pour comprendre sa vision conceptuelle : “le projet naît du silence”.

“... c’est là que j’ai com­pris qu’il fal­lait une pen­sée fon­da­trice per­son­nelle, mais sur­tout y don­ner du sens.”

Comment en êtes-vous arrivé à la pratique de l’éco-architecture ?

Au moment où je me suis installé dans le Sud-Ouest en 1981, la plupart de mes amis écologistes restauraient des maisons anciennes. L’objectif était le respect de la nature (on ne parlait pas encore d’impact environnemental) mais surtout une orientation forte concernant la santé. Sans vraiment en comprendre les tenants et les aboutissants, nous utilisions la chaux à la place du ciment, le liège expansé pour l’isolation, les peintures naturelles que nous faisions venir d’Allemagne… Lorsque parut le fascicule “Traitement des bois : attention danger” de Terre Vivante, mes amis et clients m’ont interrogé, en tant que “spécialiste”, sur la solution alternative au lindane et au pentachlorophénol. * N’ayant ni la réponse, ni la solution, j’ai dû chercher activement. Or le résultat ne pouvait s’obtenir qu’à partir de nombreux critères : le type d’essence, la constitution (duramen ou aubier), les dates de coupe, le temps de séchage... le goût des clients focalisant l’exploration. Il m’a fallu près d’un an pour trouver un (des) produit(s) alternatif(s) et efficace(s). J’ai ensuite publié l’ensemble de mes recherches dans un document intitulé “Préservation biologique - fongicide/insecticide - des bois d’œuvre”. Passionné par cette recherche, j’ai décidé d’explorer d’autres domaines : la protection aux champs électromagnétiques, le choix des matériaux, la gestion de l’énergie et de l’eau, etc.
* utilisation de produits qui sont maintenant interdits

“... on ne par­lait pas encore d’im­pact envi­ron­ne­men­tal.”

Avez-vous des matériaux privilégiés ?

La matière cherche à s’exprimer, nous sommes là pour lui donner une opportunité. À condition qu’un matériau ne soit pas dangereux pour la santé ou pour l’environnement, il est utilisable. L’analyse de chacun des matériaux s’effectue selon son cycle de vie, sans à priori, ni affectivité prédéfinie. Ils ont tous – y compris les matériaux naturels – des avantages et des inconvénients. Pour une même fonction d’utilisation, il faut les comparer transversalement pour définir celui qui répondra le mieux à la grille d’analyse : d’où il vient, comment il est transformé, quelle est sa recyclabilité, quels sont ses impacts environnementaux (notamment ses déplacements) et sur la santé. Bien sûr, certains matériaux s’imposent d’emblée, tels la terre crue, la terre cuite, le bois, en général les matériaux bio-sourcés. Toutefois, à propos du bois, son utilisation (spécialement les bois nobles) est à minimiser par des techniques de reconstitution, d’assemblage ou de choix d’essence (par exemple le peuplier en structure est très performant, sous certaines conditions). C’est une question d’empreinte sur la planète. N’oublions pas non plus que la mixité apporte beaucoup de solutions : bois/béton, bois/métal, bois/paille… : choisir les matériaux là où ils sont le plus performants.

” L’a­na­lyse de cha­cun des maté­riaux s’ef­fec­tue selon son cycle de vie, sans à prio­ri, ni affec­ti­vi­té pré­dé­fi­nie. Ils ont tous (y com­pris les maté­riaux natu­rels) des avan­tages et des incon­vé­nients.”

Avez-vous une “méthode” de conception ?

Oui et en même temps, non. Oui, si l’on se réfère à la définition du grec ancien methodos : recherche d’une voie, direction qui mène au but. Non, dans le sens où je ne souhaite pas me laisser enfermer dans une grille ou un système. Il faut revenir à ce que disait Louis L. Khan : “le projet naît du silence”. Le terme “naître” est tout à fait justifié car la conception est synonyme de fécondation. Par contre c’est le silence qui permettra au projet de s’incarner, de se “présenter” comme s’il était convié : il est préférable de dire “il m’est venu une idée” plutôt que “j’ai eu une idée”. Mais pour que cette idée vienne, il faut “préparer le terrain” c’est-à-dire poser les paramètres sans jugement de valeur, le contexte au sens large : la fonction d’usage, le lieu et son histoire, son environnement, son énergie, les gisements de savoirs et savoir-faire à proximité, et surtout, la personnalité des utilisateurs et leurs souhaits. Quand la hiérarchisation est prête, un concept (clé du projet) s’impose. Après c’est le métier qui permet à l’espace, la matière, la lumière de s’organiser, mais c’est l’idée initiale qui irrigue l’ensemble.

” Mais, pour que cette idée vienne, il faut ” pré­pa­rer le ter­rain ” c’est-à-dire poser les para­mètres sans juge­ment de valeur, le contexte au sens large ”

Et la conception Feng-Shui ?

Le Feng-Shui n’est pas une méthode mais une perception de l’espace qui nous entoure. Par ce fait, il est totalement intégré à toute conception. C’est trouver le meilleur équilibre entre les deux éléments fondamentaux que sont l’eau et le feu. Les Chinois les ont complété en intégrant deux intermédiaires, l’un montant (la modalité “bois”), l’autre descendant (la modalité “métal”), puis enfin le centre qui stabilise et régit les interactions. Cette base de la médecine énergétique “des cinq mouvements” est transposée à l’architecture en définissant les carences et les excès aux composantes du projet : l’orientation, les flux, les matériaux, la lumière, la couleur, les proportions… L’ergonomie est ainsi optimisée, elle permet d’apporter un sentiment de parfaite adaptation. C’est une manière poétique d’habiter un lieu.

” C’est une manière poé­tique d’ha­bi­ter un lieu ”

Justement, qu’est-ce que pour vous “habiter un lieu” ?

Habiter, c’est communiquer avec son lieu pour se rencontrer. Dès le plus jeune âge, nous cherchons à inventer un espace personnalisé par une expansion de notre intériorité, en créant un lieu à notre image. Plus tard, avec la maturité, il est possible d’examiner comment il interagit à travers un regard intime avec ce que nous avons exprimé, en faisant la différence entre le profond (l’inné) et le superficiel (l’acquis) : cela fonctionne comme un miroir et permet de forger et d’adapter le caractère selon nos évolutions, en actualisant au fur et à mesure du temps nos choix ; c’est une manière d’élire domicile. Cela vaut autant pour une pièce et son aménagement que plus largement pour le bâtiment et le site dans son ensemble. Nous sommes habités autant que nous habitons, c’est un point central de l’existence : un foyer. “Habiter”, c’est se (re)connaître ; Churchill disait “Nous façonnons nos bâtiments et ensuite, les bâtiments nous façonnent”. Dans cet objectif, l’architecte est là pour accompagner et rendre l’espace vivant.

” L’ar­chi­tecte est là pour accom­pa­gner”